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La prise en considération de la dimension « sociétale » de l’activité de l’entreprise est une nouvelle fois au cœur de l’actualité. Après avoir tranché quelques difficultés d’ordre procédurales, les tribunaux français, voilà le fond enfin abordé.

Par Elodie Valette, associée, et Philippe Métais, associé, Bryan Cave Leighton Paisner

 

A l’heure où la promotion européenne de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se poursuit à tombeau ouvert (transposition en droit français de la directive CSRD, accord en trilogue sur la future directive CSDD), le tribunal judiciaire de Paris a rendu la première décision au fond sur le fondement de la loi française relative au devoir de vigilance.

La France fait depuis longue date figure de précurseur en matière de RSE. Elle a adopté une succession de textes (loi NRE, loi Sapin II, loi sur le Devoir de vigilance, loi Pacte, loi Climat et résilience) qui ont contribué à inciter les entreprises à être plus à leur environnement sociétal. En particulier, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre impose aux grandes entreprises ayant un siège en France un devoir de vigilance au regard d’un large panel de risques liés aux droits de l’homme et aux dommages environnementaux que leur activité peut engendrer via leurs filiales et leurs fournisseurs et sous-traitants avec lesquels une relation commerciale est établie, en France ou à l’étranger.

Six ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, de plus en plus de multinationales – tous secteurs confondus : énergie, eau, banque, distribution, services, transports et cosmétiques – sont visées par des actions menées par des ONG, des collectivités territoriales et des syndicats. Qu’il s’agisse des actions préventives visant à enjoindre à une société de produire un plan de vigilance conforme aux exigences de la loi ou des actions en indemnisation à la suite de la réalisation d’un dommage que le devoir de vigilance d’une société aurait dû permettre d’éviter, en l’absence de décision sur le fond se prononçant sur la qualité d’un plan de vigilance, il n’était pas possible jusqu’à présent de dresser un standard de la vigilance attendue.

Aux termes de son jugement du 5 décembre 2023 (TJ Paris, 1/4 social, 5 décembre 2023, RG 21/15827), le tribunal a enjoint à La Poste de (i) compléter son plan de vigilance par une cartographie des risques contenant des éléments suffisamment concrets et précis pour permettre de comprendre quels sont les facteurs de risque et les actions prioritaires à mettre en œuvre, (ii) d’établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques, (iii) de compléter le plan de vigilance par un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives et (iv) de publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance. En revanche, le tribunal n’a pas assorti les injonctions prononcées d’une astreinte au regard de la démarche continue d’amélioration du plan de vigilance.

En substance, le tribunal a mis l’accent sur le degré de précision attendu quant à la cartographie des risques qui doit permettre d’identifier concrètement les facteurs de risques pour déterminer l’ensemble des mesures de vigilance qui seront mises en œuvre. Il a aussi mis en exergue l’importance du dialogue avec les parties prenantes, en particulier les organisations syndicales représentatives, dans la démarche de vigilance. Enfin, l’office du juge est précisé. Il s’agit pour le juge de contrôler « l’intégration au plan de mesures concrètes, adéquates et efficaces en cohérence avec la cartographie des risques », précision faite que le juge a le « pouvoir d’enjoindre à la société d’élaborer, dans le cadre du processus d’autorégulation des mesures de sauvegarde que cette dernière doit définir en association avec les parties prenantes ainsi que des actions complémentaires plus concrètes et efficaces en lien le cas échéant avec un risque identifié », mais il ne peut se « substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures précises et détaillées ».

A l’aube d’un devoir de vigilance à l’échelle européenne, la première décision au fond sur le fondement de la loi française sur le devoir de vigilance va impacter considérablement les entreprises dans leur gestion opérationnelle tant en interne qu’auprès de leur chaîne de valeur.

Dans ce contexte normatif, de nouveaux acteurs, telle l’Agence de notation devoir de vigilance (ANDV), auront à cœur d’accompagner les entreprises dans l’appréhension de leurs enjeux stratégiques liés à la mise en œuvre des mesures de vigilance. Ces enjeux devenant à la fois un outil de communication et une source de responsabilité pour les entreprises.

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